Publié le : 06 juillet 20208 mins de lecture

La loi sur la continuité des entreprises a soufflé sa première bougie. Visiblement un succès. L’occasion de revenir sur cette loi et sur les mécanismes qu’elle instaure.

Le champ d’application de la loi sur la continuité des entreprises est assez large. Elle s’applique aux commerçants, aux sociétés agricoles et aux sociétés civiles à forme commerciale, à l’exclusion des professions libérales. Une des clés de la réussite de ce nouveau dispositif est de s’assurer que la situation de l’entreprise soit prise en charge dans un délai relativement court à compter du moment où elle rencontre des difficultés.
Concrètement, dès que l’entreprise marque des signes de faiblesse, il convient de s’interroger sur l’opportunité de bénéficier des facilités mises en place par la loi sur la continuité des entreprises. Afin d’aider à poser ce constat, la loi met en place un système de collecte de données sur les « états de santé » du débiteur (lettres de change, billets à ordre, jugements de condamnation, jugements de résolution de bail, dettes à l’égard de l’ONSS, dettes à l’égard de la TVA…).
C’est le juge de la chambre d’enquête commerciale qui estime si la continuité de l’entreprise d’un débiteur est menacée. Dans pareil cas, le magistrat peut entendre le débiteur afin d’obtenir toute information concernant l’état de l’entreprise et les mesures de réorganisation judiciaire éventuelles. Le juge rédige alors un rapport. Si les faits constatés laissent sous-entendre que le débiteur est en état de faillite, la chambre d’enquête commerciale communique le dossier au procureur du Roi.

Trois types de mesures

Outre ces éléments de prévention, trois types de mesures peuvent être prises dans le cadre de la loi sur la continuité des entreprises : la désignation d’un médiateur d’entreprise, l’accord amiable et la réorganisation judiciaire. Le médiateur est désigné afin de faciliter la réorganisation de l’entreprise. Le débiteur peut en faire la demande au président du tribunal de commerce sans que cette demande ne doive revêtir une forme particulière. La fin de cette mission est décidée par le médiateur ou le débiteur. L’accord amiable peut être proposé par le débiteur à tous les créanciers ou à certains d’entre eux, afin de diminuer la pression financière qu’il supporte, et donc de faciliter l’assainissement financier de l’entreprise ou sa réorganisation judiciaire.
Enfin, la troisième mesure concerne la réorganisation judiciaire en tant que telle. Cette dernière procédure permet d’accorder un sursis au débiteur : soit en permettant la conclusion d’un accord amiable, soit en obtenant l’accord des créanciers sur un plan de réorganisation (plan via lequel les créanciers octroient des facilités de paiement au débiteur ou renoncent à une partie de leur créance), soit enfin, en transférant à un tiers, sous autorité de justice, tout ou partie de l’entreprise ou de ses activités. Le débiteur doit adresser sa demande de réorganisation judiciaire par requête au tribunal de commerce.
Lorsque la décision de réorganisation est prise, le tribunal fixe la durée du sursis, qui ne peut être supérieure à six mois. Cette période doit être mise à profit pour préserver la continuité de l’entreprise. Aucune voie d’exécution des créances « en sursis » ne peut être poursuivie ou exercée sur les biens du débiteur au cours du sursis.

L’avis de l’UCM

Vu le peu de succès que rencontrait la loi sur le concordat judiciaire, il convenait de prendre les choses en main. C’est ce qui a été fait avec la loi sur la continuité des entreprises. Elle a permis de simplifier les procédures et de les rendre moins onéreuses. Il convient maintenant de la faire vivre et d’inciter les entrepreneurs en difficulté à y recourir.
C’est ce que 857 entreprises ont fait depuis l’entrée en vigueur de la loi. À titre de comparaison, 78 concordats avaient été octroyés dans le courant de l’année 2008.

« Il y a une évolution des mentalités »

Un an après l’entrée en vigueur du texte, Alain Zenner, avocat spécialisé dans le droit des entreprises en difficulté, livre son analyse de l’utilisation de la loi sur la continuité des entreprises.

La loi sur la continuité : évolution ou révolution ?

– Il y a une évolution des mentalités, c’est certain, mais pas encore de révolution. Ceci dit, je pense que la loi continuité est un assez grand succès. Les statistiques sont là : environ un millier de procédures ouvertes en un an.

Pourtant, son arrivée avait suscité quelques réticences…

– Comme dans toute réforme. Des réticences des tribunaux parce que la capacité d’appréciation sur les conditions d’ouverture ou les conditions d’homologation avait été réduite. Parce que certains magistrats, juges consulaires ou bien redoutaient d’avoir trop de travail, ou bien considéraient que ce qu’on leur donnait était insuffisant par rapport au régime des lois coordonnées sur le concordat judiciaire de 1946, où chaque dépense devait être contresignée par le juge commissaire… Peur des abus aussi, parce qu’il est évident que, dans un premier temps, un certain nombre de débiteurs ont eu recours à la loi simplement pour éviter une faillite patente à la veille d’être déclarée. Mais dans l’ensemble, c’est une loi qui est bien reçue.

À vos yeux, quelles en sont les principales qualités ?

– Sa simplification. La loi repose sur trois piliers. D’une part les enquêtes commerciales. Le sentiment est que les textes ont peu changé, c’est vrai, mais l’objectif des enquêtes a été réécrit et je crois que, progressivement, les magistrats vont réaliser que les enquêtes doivent être dirigées autrement. Le tribunal doit devenir le premier moteur de la réorganisation judiciaire et de la faillite. Le deuxième pilier, ce sont les mesures douces avec, notamment, l’accord amiable. Des mesures qui ne sont pas encore perçues à leur juste dimension. Reste alors la réorganisation comme telle. Il y a celle par accord amiable, sous supervision judiciaire. Là, encore une fois, les gens commencent à mesurer ce qui est possible.

Et les principaux défauts ?

– La première faiblesse est que le texte n’est pas compliqué mais est touffu. Et il faut que les magistrats et le monde judiciaire en général s’y habituent. Autre point de faiblesse : la loi, à certains égards, est un compromis à la belge. Il faut mettre d’accord une série d’acteurs puis de partis politiques ou de groupes et, donc, il y a parfois des « donnant-donnant », des aspects qui ne sont pas clairs du tout.

La loi nécessiterait-elle des améliorations ?

– Je ne suis absolument pas favorable à une loi de réparation parce qu’on aborderait à ce moment-là des problèmes qui pourraient entraîner des marches arrière. Il faut laisser respirer la loi. Peut-être, un jour, avoir une loi bonus, une loi qui booste le texte actuel ou qui le complète sur certains points.

Que souhaiter pour son application à venir ?

– D’une part, que les avocats se familiarisent à la loi et incitent leurs clients à y avoir recours plutôt que de déposer des bilans. D’autre part, que les tribunaux, à travers les enquêtes commerciales, ou à travers le recours au dessaisissement provisoire des faillis virtuels qui ne déposent pas leur bilan, puissent encourager voire obliger des gens à recourir à la procédure quand il est temps, et pas simplement quand on est déjà à la veille de la faillite. C’est ça la grande difficulté.